8 fév 22

423. Embuscade comme poinçon particulièrement aigu. Titre d’un chapitre du livre A. en cours qui relate une embuscade des indépendantistes algériens contre un convoi de l’armée française vers 1961, quelque part en Algérie. Récit lu par un ami qui y voit un topos littéraire, et donc à considérer avec précaution. Que faire d’un topos ? Pourquoi ce récit ? Ensuite, question de la place de ce récit dans l’ensemble du roman. F.B. suggère d’y réfléchir, dans l’économie globale du livre. L’embuscade est le nom d’un café lillois dont, il y a fort longtemps, j’ai aperçu le panneau lumineux au loin, tandis qu’une voiture avec trois ou quatre types louches à son bord me suivait au ralenti, alors que je remontais le trottoir. Lire ce nom m’avait glacé le sang. Quant à la survenue de ce mot dans le livre, c’est un mot-trophée, rescapé du silence de mon père : un épisode dont je suis sûr qu’il s’est passé – j’en invente les péripéties. Il y a peu, je lis le mot français au filtre de l’espagnol, et j’entends en busca de, « à la recherche de ». L’étymologie en est italienne : imboscata, début XIVe . Ce que j’y lis est ce qui pour moi fait sens : la recherche, l’enquête. Et, ce week-end, à la sortie du métro Avron, je (re)lis le panneau Lembuscade, nom d’un bistrot qui me refait signe à trente ans de distance. Tout est déjà là de ce qui nous fait signe : on le voit ou non ; j’ai pour habitude de marcher en vision flottante, les yeux attentifs à tout, toujours à la recherche des mots perdus.

424. Galerie PLATEFORME, dans le 20è. Installation #Outland, je retrouve l’œuvre de Ludovic Bernhardt, Magnesium sky, avec les « crashed diagrams » (poinçon 302) appliqués à des cartes du monde. Ces crashes bouleversent notre représentation du monde par un transcodage multiple : découpage du territoire en lamelles décalées qui rompent le périmètre géographique ; dédoublement de la surface : on passe d’une projection cartographique – j’ignore laquelle, il en existe au moins 64 – à une représentation symétrique selon un axe vertical et central ; les noms disparaissent au profit de signes qui rendent l’ensemble illisible. Cartographie d’un Outland impossible, à la géographie imaginaire, abandonnée à des signes affolés par un axe nord-sud (?). Ravages mondialistes qui entament jusqu’aux codes que je croyais bien stables.

Je découvre aussi 2004 MN4 de François Ronsiaux, installation sculpture. Surgissement minéral, saillie de la croûte terrestre, anthracite. Tellurisme actif, granulosités différentes, brillant de la houille, autel païen consacré aux divinités chtoniennes.

Pourtant, le propos d’origine est autre : 2004 MN4 fait allusion à l’astéroïde géocroiseur découvert le 19 juin 2004, d’une masse d’environ 50 millions de tonnes, dont les scientifiques ont évalué qu’il pourrait rentrer en collision avec la terre. Il n’en sera rien aux dernières nouvelles (risque 0 sur l’échelle de Turin, graduée jusqu’à 10). Mais l’homme se charge tout seul de la catastrophe climatique globale (risque 10), sans avoir recours à un objet géocroiseur. Je vois maintenant un morceau d’astéroïde entré en collision avec la terre.

425. Ni Baselitz, ni Proust. La médiation technique (réservation, paiement) n’a pas fonctionné. Je ne verrai donc pas l’exposition consacrée au peintre, pas plus que « Marcel Proust, un roman parisien » au musée Carnavalet. En lieu et place, déambulation dans le 5è arrondissement, pour suivre quelques rhizomes d’un roman intime. Mes pas m’amènent – c’est faux, c’est là un lieu commun paresseux – mon histoire m’amène rue d’Ulm, à l’École Normale Supérieure. Souvenir des trois années de classes préparatoires, où me portait le désir de faire corps avec deux trigrammes : ULM, ENS. Victoire napoléonienne sur les Autrichiens, défaite personnelle contre cette institution. Rue calme, peu de passants, ciel bleu et ensoleillé. Plus loin, la rue des Écoles, le Collège de France. Souvenir de « la mort de l’auteur » Roland Barthes, renversé là par une camionnette le 25 février 1980. Hanté, je hante.