
484. L’attrait d’un livre, l’aimantation qu’il exerce, tient à ce qu’il vient répondre à une attente, dont on a parfois médiocrement conscience. En le lisant, on fait naître un charme, qui transforme définitivement notre vision de la réalité (qui nous inclut aussi bien), qui apporte une réponse déjà là, qui n’attendait que d’être révélée. Je l’ai souvent faite, cette expérience de révélation du flou vers le net, du bain photographique qui vient ajouter à notre monde un nouveau morceau de réalité. Cette révélation est double : celle de l’auteur et celle du lecteur. Rencontre différée, mais rencontre.
485. La ralingue est un cordage marin, dont la fonction est de renforcer une voile, un filet de pêcheur. Il en empêche la déchirure. Ralingue est un mot magnifique. Je note ceci, tiré de mon dictionnaire en ligne de prédilection, le CNRTL :
“Les voiles furent bordées de fortes ralingues, et il restait encore de quoi fabriquer les drisses, les haubans, les écoutes, etc.” (Verne, Île myst., 1874)
“Il était impossible d’empêcher la fuite du gaz, qui s’échappait librement par une déchirure de l’appareil “(Verne, Île myst.,1874)
Chez Verne, le goût du vocabulaire technique, précis. Chez Macquet, de même. Et cette ralingue me claque à la figure dans Tchoôl, plusieurs fois :
“I lock my door upon myself, les re du non-retour ralingue répétition comique atroce ” (p. 68)
et aussi :
“et puis
et puis
je t’en supplie
tchoôl !
TCHOÔL !
“in rapture’s wild reality”
j’avais craché dans leur verre
j’avais fait gonfler ta mère
bouge
je sais que les marins s’en vont
ralingue ” (p. 70)
et :
“la tempête en nous qui nous pousse vers une île mystérieuse, ça pousse, ça recommence, ça nous pousse à la ronde, le verbe, qui nous pousse à la chair, la chair, qui nous traîne à la source, ralingue ” (p. 71)
et enfin :
“ralingue
Avine” (p. 74)
Ralingue permet un nouage linguistique très dense. Ce cordage dit à la fois le retour (ce qui revient selon la loi de l’Eternel Retour, ce qui revient après son départ : le marin, le bateau, l’habitant du Boulonnais) et le non-retour (le paradoxe n’est qu’apparent : retour et non-retour sont des compossibles) ; le râle de mécontentement devant le râle de la langue en agonie, celle qui ne pourra jamais dire, mais qui tente la “sauvage réalité du ravissement ” (citation d’un poème de Lord Byron), rage sensible phonétiquement dans l’allitération initiale du /R/ ; l’impératif absolu du voyage en mouvement qui pousse en avant, vers l’île mystérieuse ; la compénétration de la chair et du mot, du corps traversé par la langue, bref, du nouage entre le réel (l’impossible île mystérieuse), le symbolique de lalangue qui s’essaie au ravissement (ravir la réalité, être ravi par elle), et l’imaginaire décliné en multiples facettes (la tempête intérieure, le voyage en cercle sur soi-même : “pousse à la ronde”, que je lis aussi comme l’aronde, j’y reviendrai) ; Avine-ralingue, le personnage dont est narrée l’histoire, Avine comme principe de liaison, Avine du A en majesté (revenir sur la capitale A) ; la lune/luna/Sélène… et j’en oublie. La chaîne signifiante est riche : j’essaie d’en capter quelques reflets, en vieux rêveur mallarméen.
J’avance sans portulan. Seulement guidé par les pointes qui griffent ma coque.
… ils seduisent lorsqu’on les survole mais il ya aussi la fascination exercéé par ces mots inconnus quand on prend la peine de s’y arrêter et de les creuser, ils nous dévoilent des mondes !
Merci de ton passage Christiane !
[…] 498. Suite de l’approche 5, « la ralingue, la langue » […]
[…] poursuis les approches 5, « la ralingue, la langue » et 13, […]
[…] forte du « rerâle » vers le ciel fait écho à la ralingue (cf. Approche 5) comme nouage linguistique […]
[…] pendent. La ralingue n’a pas pu jouer son rôle jusqu’au bout. Avine-ralingue (poinçon 485) est […]