15 mai 22 | point d’image & point d’orgue

477. En l’église Saint-Etienne de Castries, hier soir, récital d’orgue : Alain Bouvet, titulaire du grand orgue de l’abbatiale Saint-Etienne de Caen. Il joue une pièce d’Oliphant Chuckerbutty, de César Franck, d’Alexandre Guilmant, de Charles-Marie Widor, Gabriel Fauré, et enfin Luis Vierne. Je connaissais Franck et Fauré, ignorais tout des autres.

L’orgue : « La construction de cet orgue a commencé dans les ateliers de Courtrai (Belgique) du facteur d’orgue Jean Bruggeman, en 2013.

Un très bel instrument de 37 jeux, 2400 tuyaux, trois claviers et un pédalier. La hauteur du buffet, installé sur la tribune, est de 6,20 m » (Midi Libre du 20/02/2015)

Expérience troublante que ce récital. Sur un écran est projetée l’image d’Alain Bouvet et de son assistante. Je fais l’effort de recoller deux dimensions  : l’une, visuelle, de l’image de l’organiste, tout à son exécution très physique (les trois claviers, les tirants de registre tirés ou repoussés, le pédalier), les pages des partitions tournées…et l’autre, sonore, la musique du grand orgue Bruggeman, puissante, enveloppante. Mon trouble vient de l’artificialité de l’image sur l’écran qui occulte le maître-autel. L’image tressaute parfois quand le signal est rompu. STBY s’incruste en vert à demeure, signant la présence de la technique. Une image en standby : incongru. J’aurais préféré ne pas voir l’écran, ne pas voir l’organiste en plan fixe, pour l’imaginer officier dans l’ombre de son balcon. La rage de tout voir, toujours. Jusqu’à l’agacement d’Alain Bouvet qui à un moment se tourne vers la caméra, en plein morceau, pour témoigner, par ses mimiques, d’un dysfonctionnement d’un clavier – du moins, c’est ainsi que je l’interprète. Qu’y pouvons-nous ? Que gagne-t-on à en savoir, puisqu’aussi bien l’exécution est magistrale et que mon oreille de néophyte n’a rien décelé ? Alors oui, nous entrons dans les coulisses de l’exécution, mais la musique n’y gagne rien, son goût en est adultéré par le spectacle de sa fabrication, médiatisée par une image déportée, faisant pièce au recueillement qui devrait accompagner l’écoute du récital. L’apparition d’Alain Bouvet sur le balcon, à la fin du récital, annoncée par sa disparition à l’image, me réconcilie un peu avec ce dispositif dissociant. L’artiste, visible, vient nous saluer et chasse l’irréalité du spectaculaire. Il nous rappelle aussi que la musique est invisible et s’accommode du noir. Et c’est elle qui l’emporte, nous emportant dans le final de la 1ere symphonie de Louis Vierne, dans le sentiment océanique d’une toute-puissance éolienne canalisée par les tuyaux en montre, déchaînant les bourdons et les flûtes, les quintatons, les salicionals et les gambes. J’en oubliais le spectaculaire pixellisé pour le ravissement entier, total, de l’invisible.

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