En pensant à l’Ukraine,

m’est revenu le texte écrit par l’écrivain mexicain José Emilio Pacheco, publié dans le recueil Le Sang de Méduse (inédit en France). Pacheco s’appuie sur un texte de Eça de Queiroz.

En voici le début, traduit par mes soins.

La catastrophe


« La catastrophe » est la dernière nouvelle de Eça de Queiroz. Le
grand romancier portugais l’a publiée quelques semaines avant sa
mort, en 1900. Cette version, plagiat ou pillage, a paru dans
[la revue] Proceso à Noël 1984.


Je vis dans la Condesa, dans une rue qui porte le nom de l’un des cadets morts pour
défendre le château de Chapultepec pendant l’invasion nord-américaine de 1847. Avant
la guerre et nos malheurs, j’ai pensé changer de quartier, car la Condesa n’est plus ce
qu’elle était. Mais l’armée ennemie a occupé le Mexique et je suis resté dans cet
appartement sombre. Il me fait ressentir avec plus d’intensité l’amertume de la
catastrophe.
Ceux qui habitent au nord ou au sud souffrent aussi de la présence des occupants.
Pourtant, la terreur initiale est passée, et la ville retrouve peu à peu son aspect
ordinaire. Le métro et les autobus ont recommencé à circuler. Mais une atmosphère
d’intolérable oppression hante les rues, pénètre dans les maisons, altère le goût de l’eau,
dépose dans nos intérieurs une obsédante tristesse.
Si quelqu’un oublie le désastre qui nous cerne de toutes parts, l’apparition de
l’uniforme envahisseur à un coin de rue le ramène à l’idée de la déroute et de la fin de la
patrie. Une brume funeste enveloppe tout depuis que le drapeau ennemi flotte sur les
édifices publics.
De nombreuses personnes peuvent s’enfermer chez elles avec leur famille et parler
d’espoir qui atténue le poids de la catastrophe. Cet isolement ne m’a pas été donné : il
me suffit de me pencher à la fenêtre pour voir la sentinelle étrangère aux portes du
château. La sentinelle de Chapultepec a l’air d’être là depuis toujours et cela me rend
fou. Chacun de ses pas résonne chez moi comme un écho lugubre. Il me donne
l’impression qu’il y aura toujours un soldat étranger en terre mexicaine.

Une réflexion sur “En pensant à l’Ukraine,

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