22 janv 22

406. Visionnage du film d’Yves Courrière et Philippe Monnier, La guerre d’Algérie. Les images saisissantes de la réalité (images d’archives militaires, des actualités de l’époque, des manchettes de journaux, etc.) viennent de superposer à mes lectures. N’en ai vu qu’une demi-heure, prise de notes.

407. En parallèle, écriture du 2e texte de « vers un écrire-film ». Je choisis la minute qui documente l’arrestation de fellahs (1954 ou 55). Exploration par l’écriture, j’imagine mon père témoin de ces arrestations, vexations et humiliations.

408. Des Zoom porteurs, avec Jacques Serena lundi passé (écrire, publier), ; et échanges sur les textes mis en ligne jeudi soir.

409. Lu Tout ce qui est solide se dissout dans l’air de Darragh McKeon (2015, 10/18), plusieurs trames narratives, avec comme pôle le 26 avril 86 (Tchernobyl), ses conséquences, l’histoire soviétique de 86 à la chute du mur de Berlin, à travers quatre prismes. Un « chef-d’œuvre » comme le trompette Valérie Gans de Madame Figaro en 4e de couverture ? Un bon roman, bien construit, aux personnages attachants, révélant une bonne connaissance de la société russe. Les passages sur les liquidateurs sont glaçants, nourris d’une solide documentation (me souviens des vidéos docs vues sur YT, sur les liquidateurs, insupportables). Les deux citations en exergue sont percutantes – on le pressent au début, on le confirme le livre achevé. La 1ere de Marx, qui donnera le titre du roman :

Tout ce qui était solide, bien établi, se volatilise, tout ce qui était sacré se trouve profané, et à la fin les hommes sont forcés de considérer d’un œil détrompé la place qu’ils tiennent dans la vie, et leurs rapports mutuels (Le Manifeste communiste).

Marx a lu les sages bouddhistes et a aussi réfléchi à l’impermanence du monde. La chair profanée des liquidateurs illustre à la fois la noblesse de leur sacrifice et le mensonge d’État permanent du pouvoir soviétique.

Seconde citation, de H.G. Wells, extraite du roman Tono-Bungay paru en 1909, où il est question du « quap », composé radioactif décrit comme « the most radio-active stuff in the world. It’s a festering mass of earths and heavy metals, polonium, radium, ythorium, thorium, carium, and new things, too. » (me dit Wikipedia). Bref, voilà qui évoque furieusement le corium nucléaire, né de la fusion du cœur de réacteur (Three Mile Islan Tchernobyl, Fukushima). Citation en exergue :

A mon sens, la radioactivité est une véritable maladie de la matière. En outre, c’est une maladie contagieuse. Qui se propage. Si l’on approche d’atomes sains ces atomes déphasés, s’effondrant sur eux-mêmes, alors ceux-ci à leur tour cessent de mener une existence cohérente. C’est à l’échelle de la matières la même chose que la décadence de notre culture ancienne au sein de la société : une perte des traditions, des distinctions et des réactions attendues.

Maladie de l’âme, maladie contagieuse, où matière et esprit se trouvent réunis dans le roman de façon variée : le médecin Grigori retrouvera Maria mais mourra des radiations reçues en soignant des victimes de Tchernobyl ; le jeune prodigue de piano Evgueni échappera à sa condition sociale de gamin pauvre pour devenir un grand pianiste, exit le déterminisme social.


Darragh McKeon

Sans doute Darragh McKeon a-t-il lu La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, (1997) de Svetlana Alexievitch, ou La fin de l’homme rouge.

Citations de La supplication :

« Chaque chose reçoit son nom lorsqu’elle est nommée pour la première fois. Il s’est produit un événement pour lequel nous n’avons ni système de représentation, ni analogies, ni expérience. Un événement auquel ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles, ni même notre vocabulaire. Tous nos instruments intérieurs sont accordés pour voir, entendre ou toucher. Rien de cela n’est possible. Pour comprendre, l’homme doit dépasser ses propres limites. Une nouvelle histoire des sens vient de commencer. » (interview de l’auteur par elle-même, p. 31-32)

« Je vais vous raconter une histoire drôle. Un prisonnier évadé se cache dans la zone de trente kilomètres autour de Tchernobyl. On finit par l’attraper. On le fait passer au dosimètre. Il « brille » à un point tel qu’il est impossible de le mettre en prison ou à l’hôpital. Mais on ne peut pas le laisser en liberté non plus. Vous ne riez pas ? (Il rit.) » (Arkadi Filine, liquidateur, p. 99)

« Je croyais, au début, que les ‘sépulcres’ étaient des constructions compliquées, conçues par des ingénieurs, mais il s’agissait de simples fosses. Nous soulevions la terre et l’enroulions comme un tapis… L’herbe verte avec les fleurs, les racines, les scarabées, les araignées, les vers de terre… Un travail de fous. On ne peut quand même pas éplucher toute la terre, ôter tout ce qui est vivant… Si nous ne nous étions pas soûlés à mort toutes les nuits, je doute que nous eussions pu supporter cela. L’équilibre psychique était rompu. Des centaines de kilomètres de terre arrachée, dénudée, stérile. Les maisons, les remises, les arbres, les routes, les jardins d’enfants, les puits restaient comme nus… Le matin, il fallait se raser, mais chacun avait peur de se regarder dans un miroir, de voir son propre reflet. » (Ivan Nikolaïevitch Jmykhov, ingénieur chimiste, p. 159)

(source : https://ecolitt.univ-angers.fr/fr/ressources-pour-tous/fiches-de-lecture/svetlana-alexievitch-la-supplication-tchernobyl-chronique-du-monde-apres-l-apocalypse.html)

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