405. Continuant nos échanges, le lecteur (du poinçon 403), Christian, rappelle la prégnance de l’œil, et la présence du frère de Dziga Vertov au générique (Boris, directeur de la photographie). Je retourne sur le site (incroyable) Ubuweb, découvert il y a bien longtemps, que j’avais un peu oublié. Créé en 1996 par le poète américain Kenneth Goldsmith, qui revendique l’uncreative writing, que François Bon suggère de traduire par écriture sans écriture (un des thèmes travaillés en atelier il y a peu). Dans les ressources, une mine :
« On directing Samuel Beckett’s Film » d’Alan Schneider,
(https://www.ubu.com/papers/beckett_schneider.html),
qui relate la genèse du film. Fascinant histoire des deux points de vue recherchés : l’œil percevant, E, en constante observation de l’objet, O, qui observe son environnement. Esse est percipi, « être, c’est être perçu ».
What was required was not merely a subjective camera and an objective camera, but actually two different “visions” of reality: one, that of the perceiving “eye” (E) constantly observing the object (the script was once titled The Eye), and one, that of the object (0) observing his environment. o was to possess varying degrees of awareness of being perceived by E and make varying attempts to escape from this perception (in addition to all other, or even imagined, perceptions). The story of this highly visual, if highly unusual, film was simply that 0’s attempt to remove all perception ultimately failed because he could not get rid of self-perception. At the end, we would see that 0 = E. Q.E.D.
Enjeu du placement des caméras, selon qu’elle est E ou O :
What became immediately clear was that whenever the camera was 0, it would, of course, not see or show any parts of 0. Whenever the camera was E, it would always have to be more or less directly behind 0, never actually seeing O’s face from front until the very last shot of confrontation. What actor of star stature would be willing to play a part in which we would almost never see his face? Which cameraman of first rank would risk the danger to his reputation resulting from such a limited range of camera placement?
Je m’amuse à relever, dans Film, les clins d’œil (sic) au film d’Eisenstein, Le cuirassé Potemkine (1926) :




Présence des lunettes : elles indexent le désir de bien voir ce que l’on est en train de voir : chez Eisenstein, la chute inimaginable du bébé devenu orphelin, par deux points de vue (masculin et féminin, car il ne s’agit pas seulement de la maternité, de l’assassinat d’une mère innocente, mais d’un drame qui concerne tous les humains) ; chez Beckett, l’horreur exprimée par l’œil percevant (E) à la vue d’un objet (O) qui échappe au spectateur, et révélé dans la scène de la confrontation finale. Vertigineusement, le spectateur que je suis devient l’objet de la répulsion (j’incarne le bébé victime de la répression de la garde impériale sur la population d’Odessa ; j’incarne le personnage de B.K. qui terrifie tout le monde). Incarnation imaginaire, je deviens un corps de cinéma (cf. Raymond Bellour).