18 janv 22

404. Un lecteur, une lectrice, me fait l’amitié de commenter le poinçon précédent : il évoque Clément Rosset, Le Réel et son double, pour éclairer ce Film :

J’emprunte à Clément Rosset cette analyse de la fonction du double : « Fonction pratique : l’image sert à récuser le réel, à l’éloigner… Fonction métaphysique, d’interprétations : la réalité est idiote parce qu’elle est solitaire, seule de son espèce… il lui suffira d’être deux pour devenir susceptible de recevoir un sens… Fonction fantasmatique, de production d’un objet manquant pour rendre compte du désir. Le sujet du désir s’éprouve comme manquant de complément, en l’occurrence de complément d’objet. » (cf. Le Réel, traité de l’idiotie p. 46/51). En récusant le double, c’est bien la question du sens que soulève ici Beckett. Non pas l’irreprésentable (soit l’obscénité comme vous le suggérez) mais la présence têtue du réel indépassable dans un sens qui l’engloberait et nous consolerait enfin d’être au monde. Le commentaire en devient lui-même absurde, qui cherche à expliquer ce qui est déjà là déplié sous nos yeux.

Pour moi, l’irreprésentabilité était celle du visage. Le leitmotiv récurrent de l’œil (il s’ouvre et ouvre le film / il se ferme, se cache, et ferme le film) désigne bien sûr l’illusion du cinéma, mais aussi l’impossible échappement au fait d’être perçu et de percevoir (et je découvre dans Wikipédia que Deleuze a analysé ce Film – je n’ai pas encore lu son analyse). Et pour souscrire au commentaire de ce lecteur :

Le retour obstiné du chat et du chien est un peu comme le retour du réel privé de toute explication. Il est là quoi qu’on fasse. C’est le monde de la « pensée sans image ».

Le chat et le chien sont la métaphore burlesque du retour du réel (un burlesque tragique, qui s’impose comme une fatalité indépassable), de même que l’on porte visage, et le masquer revient encore et toujours à l’indexer, à le montrer. Je repense à Vladimir explorant son chapeau, au début d’En attendant Godot :

(Il ôte son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment dire ? Soulagé et en même temps…(il cherche) …épouvanté. (Avec emphase.) É-POU-VAN-TÉ. (Il ôte à nouveau son chapeau, regarde dedans.) Ça alors ! – […]

Estragon de son côté examine sa chaussure :

Estragon. – Rien.

Vladimir. – Fais voir.

Estragon. – Il n’y a rien à voir.

L’épouvante qui se réfère au « dernier moment » est dite et soulignée par une pantomime où ressort l’« hallucination du rien », l’étonnement de ne rien trouver dans le chapeau, « l’indexation à la non-chose » qu’évoque Kristeva et qui rejoint Rosset (« production d’un objet manquant pour rendre compte du désir. Le sujet du désir s’éprouve comme manquant de complément, en l’occurrence de complément d’objet »).

3 réflexions sur “18 janv 22

  1. Si j’ai insisté sur l’oeil c’est parce que je ne pouvais pas oublier qu’il y avait là une allusion possible à l’oeil caméra qui ouvre “l’homme à la caméra”. On ne peut pas s’empêcher d’y penser en raison de la présence au générique du frère de Dziga Vertov.

    • Oui, l’allusion est claire (de même que celle au Cuirassé Potemkine), ce qui m’amène à réfléchir au statut du spectateur/témoin, spectateur/victime (la mère abattue par les soldats et qui tombe sur le landau du bébé), spectateur/opérateur (Vertov, etc.)

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