18 et 19 déc 21

350. Je relis le remarquable essai Capsules de temps, Vers une archéologie du futur, de Xavier Boissel (2018), dont je n’avais plus qu’un souvenir vague. Le poinçon 348 avait éveillé des échos indistincts que je voulais préciser. Xavier évoque le chercheur suédois Andreas Malm, qui propose de remplacer anthropocène par capitalocène : « ce n’est pas l’activité humaine en soi qui menace de détruire notre planète, mais bien l’activité humaine telle que mise en forme par le mode de production capitaliste » (note p. 87 du chapitre « Zoodystopie » de Capsules de temps). Dans le chapitre « Toute la mémoire du monde », X. rappelle l’analyse de Bernard Stiegler sur les supports de mémoire – je fais le lien avec la photographie de valeur testimoniale, archivistique, etc. : «  les hypomnêmata sont les objets engendrés par l’hypomnesis, c’est-à-dire par l’artificialisation et l’extériorisation technique de la mémoire. » Toute hypomnèse serait une capsule de temps.

351. Symptôme capitaliste que celui de la spatialisation du temps : ici, oubli, mise au rebut d’artéfacts (décharges/friches), cachés par le retour de la nature (Jonk), l’érosion ou l’exploitation de la terre (mines, chez Didier Vivien), sortis de l’amnésie ou de l’invisibilité (ARN) par le recours à la photographie, au travail d’enquêteur et d’historien, pour réinvestir la mémoire intérieure, psychique (anamnèse, selon Stiegler) de l’artiste et de son public, et de l’histoire culturelle. La logique encyclopédique (La vie sur terre, Archéologie de la mine, Didier Vivien | l’ Atlas des Régions Naturelles de Eric Tabuchi et Nelly Monnier, etc.) est une manière de se tenir « face au temps » (X.B.), dans une optique de sauvegarde archivistique et patrimoniale, le temps que durera le support papier et le système logique (langue, etc.) qui en permet le déchiffrage. Autant de projets qui pourraient constituer à eux seuls des capsules pour le futur.

352. Dans l’orbe de mes préoccupations que cette valeur testimoniale de la photographie. Le chapitre des Capsules de temps intitulé « Le dernier banquet » (p. 89) analyse l’expérience que Daniel Spoerri, artiste affilié au Nouveau Réalisme et au mouvement Fluxus, réalise en avril 83 dans le parc du château Montcel à Jouy-en-Josas : enterrer dans une gigantesque tranchée une tablée avec vaisselle, objets personnels des invités (César, Arman, Soulages…), pour créer Le déjeuner sous l’herbe… S’ensuivent plusieurs campagnes de fouille, pour déterrer puis réenterrer afin que l’œuvre échappe au marché de l’art. Ce qui m’a saisi, outre les questions que pose cette démarche sur la nature même de l’entreprise archéologique, c’est la chose suivante : l’assassinat par balle du père de Daniel Spoerri, juif roumain, par les nazis, le long d’une tranchée semblable à celle qui a recueilli le déjeuner. X.B. analyse ici la dimension spectrale du retour du père, et l’œuvre-happening du fils pourrait être vue comme une offrande au père. Ici encore, des échos en moi à écouter et à rendre intelligibles. Hamlet et ses fantômes (car ils sont plusieurs) rôdent autour de moi.

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