18 déc 21

Naturalia I (https://www.jonk-photography.com)

347. Happé par les photos de Jonk (Jonathan Jimenez), Naturalia, Chronique des ruines contemporaines, après l’avoir entendu présenter son travail à la radio. Où quand les artéfacts deviennent, par leur abandon même, à nouveau dignes d’être vus. Le capitalisme signifie la disparition, l’invisibilisation des choses, parce qu’il les multiplie à l’infini. Le paradoxe n’est qu’apparent, car la disparition des choses est liée à notre désir pour elles. Qu’elles redeviennent uniques dans leur sortie du circuit capitaliste, par leur mise en lumière (ici le travail de Jonk), et elles réapparaissent.

Les photos visibles sur le site du photographe me captivent, me fascinent : temps volé par l’objectif sur la réapparition-disparition annoncée, photos faire-part, nécrologie et figement, em-beau-mement, car pour moi le parti-pris esthétique de Jonk nous en remontre, du beau. Il avait déjà frappé fort avec Wasteland, l’art des friches (2018), ou Spomeniks (monuments).

Wasteland (https://www.jonk-photography.com)

Et bien sûr, Jonk a documenté Tchernobyl (https://www.jonk-photography.com/chernobyl-tours-fr/)

Enorme pierre d’attente encore. Travail déjà entamé avec quelques textes. Je note sur ma carte mentale de K infini les photos de Jonk, à côté de l’Atlas des villes qui n’existent pas d’Arnaud Maïsetti et du Sarcophage d’Enki Bilal.

348. Et je retrouve la rhizome qui m’a amené à tout ça : je retrouve dans ces photos le sentiment que j’ai éprouvé à déambuler le long de vieilles voies ferrées pour le livre des Archéologies ferroviaires. Photographier l’endroit qui sans nul doute me survivra, là où je n’y serai plus. Le pronom Y renvoie à cet impossible lieu, dont je me demande encore dans quelle mesure il existe vraiment, pris dans un flux de perceptions contradictoires, de feuils de signes (mots et photos). Y est le lieu de tous les lieux qui disent (m)a disparition (Tchernobyl étant le lieu paroxystique, la métonymie de tous les lieux où la Technique humaine a involontairement fait place nette). Dans une ruse à laquelle il fallait s’attendre (l’hybris, toujours, évoquée par Günther Anders à de nombreuses reprises), documenter un tel lieu se retourne contre le documentariste (écrivain, philosophe, photographe, etc.), en ce qu’il montre du doigt l’objet promis à la disparition, dans une mise à l’index redoutable. Pour reprendre un mot d’Anders, cette documentation archéologique n’est jamais que le signe de notre obsolescence, quand l’homme capitaliste oublie que la production n’est que le miroir de sa propre fin.

349. De fil en aiguille, ou de rhizome en rhizome, je découvre la dette de Jonk envers le Paris d’Eugène Atget (s’effacer pour ne pas interférer entre le spectateur et l’objet photographié), du travail photographique de Bernd et Hilla Becher (http://www.artnet.fr/artistes/bernd-and-hilla-becher/) sur le paysage industriel allemand, de celui de Chris Killip (https://www.moma.org/artists/3094) .

Capsules de temps, esthétique de la disparition.

Disparition du photographe devant son médium.

Disparition des sujets (la technique, les gens).

Envie de retourner sur quelques lieux photographiés par Atget dans Paris.

Je pense aussi à l’ARN (Atlas des Régions Naturelles de Eric Tabuchi et Nelly Monnier, https://www.archive-arn.fr/), travail titanesque, qui participe de la même démarche. Sur le site :

« HISTORIQUE DE L’ATLAS


Au moment d’entreprendre ce travail, cela faisait déjà un moment que nous nous demandions comment documenter l’architecture vernaculaire française et, plus largement, comment représenter un territoire dans toutes ses nuances. 

C’est en cherchant quel outil utiliser, car il fallait d’abord définir une trame, une échelle de représentation, que nous avons découvert sur internet la carte des régions naturelles. Bien qu’inutilisable car dépourvue de tout repère, celle-ci a attiré notre attention. 

En approfondissant, nous nous sommes procurés les deux tomes du Guide des Pays de France de Frédéric Ziegerman (éd. Fayard) qui contenaient des cartes détaillées. Très vite nous avons commencé le récolement puis la superposition de ces documents à nos cartes routières pour aboutir à ce qui allait devenir notre géographie de référence. »

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