25 nov 11

285. Encore pas mal de temps passé à travailler sur le site L’œil a faim : ajout d’une page consacrée aux podcasts, création d’un menu sur la page (sans widget dédié, il faut ruser avec les outils dont je dispose), ajout des poinçons manquants à la page « Poinçons », avec création d’un index pour permettre de naviguer (à l’instant où j’écris, 71 pages A4), fin du mixage de l’objet 11 (du braille, Catherine Serre), lecture de tutos divers. Bref, de l’intendance. J’oublie les tâtonnements sur le séquenceur Ableton et le clavier MIDI.

286. Manœuvres autant nécessaires que dilatoires à ce qui suit. Remonter le projecteur, le mettre en place, glisser les diapositives cartonnées dans le panier (et non chariot, comme je l’appelle)… Dans une camera obscura, sur notre rétine, l’image est inversée. Le cerveau traite les infos, haut et bas, droite et gauche, profondeur, distance, couleurs…et nous voyons une image corrigée ; dans un boîtier, les miroirs jouent le rôle du cerveau. J’arrive à la fin d’une chaîne de traitements optico-chimiques en glissant une diapositive dans le panier ; mais je dois la glisser à l’envers pour la voir projetée à l’endroit : ainsi, l’image photographique, comme si elle était projetée sur une rétine ou dans une camera obscura, doit être retournée pour s’accomplisse à nouveau la correction. Je deviens un opérateur mécanico-optique…

C’est un bon projecteur, de marque allemande Carena, autofocus 3000. Il démarre au quart de tour, la lampe fonctionne, le chariot-panier avec sa télécommande à fil avance et recule parfaitement. Je suis tendu, j’abuse du chocolat Côte d’Or au lait (régression infantile ?).

287. Je réalise pleinement pourquoi je remettais constamment cette première séance : je suis remué aux larmes, soudain saisi d’une infinie tristesse, devant le jeune militaire que je découvre. Tout me saute à la figure. Je vois ce que ses yeux ont vu, ce qu’il a pris le temps de photographier ; je revois ce que enfant j’avais regardé avec l’attention un peu négligente de qui ignore encore la mort. Je visionne assez vite un petit paquet de diapositives, l’émotion est trop forte, j’arrête. J’éprouve à nouveau le deuil. Jamais le mot «  poinçon » ne fut plus approprié qu’aujourd’hui. Oui, j’irai au bout, bien sûr. Je regarderai tout cela. Se révèle tout ce qui imaginairement me manquait : là où il a vécu, le cantonnement, les amis, le désert. Diapositives vues et oubliées, dont l’une d’elles a réapparu sous forme d’une photo retrouvée chez ma mère il y a peu. Images hanteuses, images désirées, que je fuirais presque maintenant, pour l’intensité émotionnelle qu’elles suscitent.

288. L’écriture est une sismographie.

289. J’ai écrit une page sur mon père projectionniste certifié en 16 mm . J’ai imaginé ce qu’il avait pu ressentir en projetant un film, vers 1961 ou 62. Je me retrouve dans une situation un peu analogue, à côté de ce projecteur diapos qu’il a acheté puis soigneusement rangé dans un placard de ma chambre, il y a bien longtemps. Encore que l’analogie trouve vite ses limites. Je regarde des photographies qu’il a prises il y a maintenant 60 ans, dans le désarroi ravivé de la perte . Le boîtier photographique est une machine nostalgique. Je regarde ces spectres immobiles et lumineux, souriants ; ces paysages arides ouverts, enneigés ou gris, qui n’ont pas dû changer tant que cela (la forme d’un désert change-t-elle moins vite que le cœur d’un mortel ? Sans doute.) Il va alors falloir prendre quelques précautions pour aborder sans trop de craintes cette expérience de spirite : visiter un mort. Mon trouble s’apaise. Je relis quelques pages de La Chambre claire de Barthes, y retrouvant son regard distancié sur la Photographie.

Photo : Michel Lecat

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