
270. Trotte dans ma tête la notion d’insaisi, issue de celle d’ insaisissable. L’insaisi : ce qui m’a échappé, dans tous les sens du terme (c’est donc très vaste), ce qui a mis l’apercevance en défaut ; cela englobe les actes, les situations. L’insaisi comme ce qui me reste celé. Ce qui reste donc à saisir, dans la mesure du possible, par la pensée, par le souvenir. L’insaisi se donne comme tel parce que ce manque me traverse. Peut-être est-ce un nom sur tout ce qui se dérobe. Un signifiant jeté comme un filet. Et qui exige de moi (ou dont j’exige) la traque, le dévoilement. A la différence de l’insaisissable, qui est encore virtuel, l’insaisi est un état de ma réalité laissée derrière, des épars. Tendant à la mélancolie, à une sombre nostalgie, ne tenant pas longtemps en place (géographiquement, dans les lieux que par l’écriture j’occupe, dans ma perception du temps – mais aussi ambivalent, espèce de nomade sédentaire s’il est possible), j’arpente incessamment ; ou cherche les moyens d’arpenter ces terras incognitas. C’est une ligne de conduite, un « artisanat du vivre », qui m’a longtemps épuisé (quand « l’instant présent » m’était inhabitable, et qu’il ne me restait plus que la remémoration parfois doloriste ou l’extrême tension de ce qui allait peut-être advenir). « Parfois », « peut-être » : un écartèlement existentiel assez invivable, une constante décentration. Un principe obscurant. Etre toujours sur la brèche aiguise les sens, mais au risque de l’émoussement. Ce mouvement constant, maintenant un peu mieux apprivoisé, est ce qui m’émeut. L’émotion de l’insaisi : un autre nom pour l’angoisse ? L’insaisi est ce qui me saisit, par une ruse perverse, et pointe toutes les fois où j’ai été hors de sens : un forcènement. L’angoisse n’est pas amusable.
Les motions de l’un saisi, s’entend aussi.
Tout cela n’a guère à voir, à première vue, avec le projet Algérie. « N’a guerre » : j’attends de voir où je vais arriver. Réceptif à ce qui sourd, je sais qu’emprunter cette voie n’est pas sans raison. Naguère est lié à n’a guère et n’a guerre. Le passé, le peu et la guerre en un même signifiant. Reste à en suivre la piste. A y regarder de plus près, se joue là, dans Algérie, une pièce intime et essentielle.