28 oct 21

au musée Fenaille de Rodez, oct 21

225. Et le choc, le ravissement des outrenoirs de Soulages à Rodez. Bouleversé devant un tableau du 5 juillet 1966 mêlant noir et rouge dans une composition massive, où le noir l’emporte sur un rouge sombre, où le noir semble vouloir tout opacifier, laissant pourtant la respiration de la toile blanche ici et là, où le noir tranche par coulures et coups de brosses sur une vibration qui semble s’éteindre. Calme bloc noir s’imposant en quiétude, exsurgence du rouge qui n’abdique pas.

226. Les outrenoirs aux saisissants reliefs mobiles, accrochant la lumière que l’œil en déplacement tente de suivre, donnent une leçon de ténèbres joyeuse. Strates en aplats vibratiles, vagues de noirs qui semblent de métal, comme ces plaques métallurgiques matrices de gravures. Encre, peinture, métal, verre, brou de noix. Soulages a inventé la grammaire du noir. Soulages a corollairement inventé une grammaire du rouge. Captivé par les détails d’un tableau (14 avril 1956), au rouge de lave volcanique, aux noirs brillants de roche en fusion. Le tableau cliquète, tel un torrent de lave magmatique, incandescente en son cœur, bruissante de son épiderme en refroidissement.


227. Primo Levi, Le système périodique, « Nickel », suite (8)

Inutile victoire économique de l’enrichissement du nickel à 6 % : on avait découvert en Albanie des gisements […] devant lesquels le nôtre pouvait aller se cacher… La véritable richesse est d’ordre imaginaire : la nouvelle qu’une énorme richesse gît dans cette vallée, sous forme de déchets accessibles à tous, enflamme encore les imaginations. Il écrit aussi : les entrailles de la terre grouillent de gnomes, kobolds (cobalt !), Nicolas (nickel!)…Volonté omniprésente d’inscrire la chimie dans un cadre culturel plus vaste, mythique et linguistique, car chaque mot ne naît pas de rien, se justifie par son étymologie. Cette mine aussi avait sa magie […] Dans une colline trapue et nue, rien que rochers et broussailles, s’enfonçait un gouffre conique cyclopéen, un cratère artificiel de quatre cents mètres de diamètre ; il ressemblait tout à fait aux représentations schématiques de l’Enfer dans les tableaux synoptiques de la Divine Comédie. Dante Alighieri, bien sûr. Chant quatrième, de mon édition illustrée par Gustave Doré, traduite par Louis Ratisbonne :

J’étais au bord du gouffre : il était si profond,

Si chargé de vapeurs et d’épaisses ténèbres,

Que mes regards plongés dans ses cercles funèbres

S’y perdaient sans pouvoir en distinguer le fond.

(source https://www.librairiemaxime.com/photos/2014/Gustave-Dore/r/43_2.jpg)

Voilà qui ravive ma lecture de Se questo è un uomo, Si c’est un homme (1958). Le chapitre X narre comment Primo Levi va passer un « examen de chimie » pour tenter d’échapper à la « sélection » fatale. Le chapitre XI, intitulé «  Le chant d’Ulysse », raconte comme le narrateur-protagoniste veut remercier un compagnon, le Pikolo (livreur-commis aux écritures) Jean, de l’avoir choisi pour la corvée de soupe, qui signifie une heure de trajet et de tranquillité. Pour remercier Jean, étudiant alsacien et le plus jeune membre du Kommando de Chimie, Primo Levi tente de lui expliquer La Divine Comédie, la structure de l’enfer, le contrappasso ». Dans un violent effort de remémoration, Levi retrouve des fragments du texte, et on vit alors un instant qui touche au sublime :

« Considerate la vostra semenza

Fatti non foste a viver come bruti

Ma per seguir virtute e conoscenza. »

(Considérez quelle est votre origine : Vous n’avez pas été faits pour vivre comme brutes, Mais pour ensuivre et science et vertu)

Et c’est comme si moi aussi j’entendais ces paroles pour la première fois : comme une sonnerie de trompettes, comme la voix de Dieu. L’espace d’un instant, j’ai oublié qui je suis et où je suis.

Ce passage éclaire le rapport de Levi à la science, et la place qu’occupe Dante (représentant de la culture antique : Virgile héros de L’Enéide, de la culture chrétienne médiévale dans l’allusion à L’Apocalypse de Paul). Dante rappelle, du fond du XIVe siècle, la dignité de l’être humain nourri d’étude et d’éthique. L’enfer se retourne et fait oublier, le temps d’un ravissement extatique, l’enfer du camp.

Ce chapitre de Si c’est un homme m’a particulièrement bouleversé, je sens l’urgence de Levi de tenter de tout dire à Jean, qu’il comprenne […] avant qu’il ne soit trop tard ; demain lui ou moi nous pouvons être morts. Dante est celui qui revit en Primo Levi, l’obscurité et la mort reculent le temps de cette corvée de soupe.


228. Reçu Soldats en Algérie, 1954-1962 de Jean-Charles Jauffret, collection L’atelier d’histoire, 2011, découvert par un extrait de Google Book (qui a de bons côtés), qui m’avait vivement intéressé (notamment un passage sur l’usage des mines en Algérie). Jauffret est prof à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, titulaire de la chaire « Histoire militaire, défense et sécurité ».

Et un courrier du Service historique de la défense, sis à Pau, qui m’informe que ma demande concernant mon père ne relève pas de ses attributions, il transmet au BCRM de Toulon (qui m’a déjà répondu).

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