23 sept 21

141. Mon père aurait eu 83 ans aujourd’hui. Ecrire ce livre est aussi une façon d’être avec lui. Ecrire pourrait être un ressassement plus ou moins consenti, mais qui un jour s’impose pour être dit, parce que rien d’autre ne peut mieux le faire que dans ce dire. Subrepticement, j’en viens à rouvrir L’instant de ma mort de Maurice Blanchot (1994, Fata Morgana). Le poinçon 138, sur l’exécution brutale de mon arrière-grand-père, m’a influencé. Dans ce très court texte de Blanchot, le narrateur échappe de justesse à une exécution sommaire par les Allemands. Demeurait cependant, au moment où la fusillade n’était plus qu’en attente, le sentiment de légèreté que je ne saurais traduire : libéré de la vie? l’infini qui s’ouvre ? Ni bonheur, ni malheur. Ni l’absence de crainte et peut-être déjà le pas au-delà. (p.15-16) Approche de l’instant, qui ne peut être que rêvé, que fantasmé par l’autre. Qu’a pensé mon arrière-grand-père à cet instant-là ? Qu’a pensé mon père au moment d’acquiescer à la sédation profonde ?

Histoire familiale trouée. J’ignore même comment mes grands-parents s’appelaient.

Malone meurt de Beckett, La mort d’Artemio Cruz de Fuentes. Textes qui, à l’instar de Blanchot, tentent une impossible circonscription de ce qui échappe, du passage à l’absence au monde, de l’instant même insaisissable par les mots, du pas au-delà.

142. Fin hallucinante de Sympathy for the devil, dionysiaque, folle. Me reviennent en tête des images d’Apocalypse now, de Platoon, de Hamburger Hill, de Full metal jacket, aux oreilles les riffs de « l’acid rock » de Hendrix. Le crâne chauve de Marlon Brando, l’eau qu’il y fait couler, Au cœur des ténèbres de Conrad. Tout cela se percute en une noire nébuleuse, pas si éloignée de l’instant de la mort. Anderson la dit à sa manière brutale, crue, en homme d’action au cuir tanné, mais jamais tout à fait sans affect, quand ses deux camarades meurent fauchés par des balles amies. Absurdité de l’erreur humaine, comme elle se manifeste dans toutes les guerres. Approche plus pragmatique, celle du constat de la mort et de la douleur qu’elle engendre. Au-delà de toute morale, le fait brut, têtu, de la mort de l’autre, qui peut faire sombrer les vivants dans la révolte (réaction saine) ou le nihilisme (une première mort, symbolique, dans un monde en guerre devenu anomique). Référence à Conrad : la morale, le mal. Approche axiologique chez Conrad, nihiliste et dionysiaque chez Anderson.

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